Comme à chaque début de voyage en solitaire, je ressens un petit pincement au cœur, une légère appréhension, pour je ne sais quelle raison d’ailleurs. Aujourd’hui cette sensation est davantage accentuée que d’ordinaire : je me rends pour la première fois dans un pays asiatique, inconnu pour moi jusqu’alors, non occidental, peut-être est-ce la raison. Dans des temps anciens, on l’appelait Royaume de Siam, plus connu aujourd’hui sous le nom de Thaïlande. 

Grève

Le prélude de mon voyage se joue, comme souvent, devant une gare, mais pas pour prendre un train, la SNCF est en grève. Je ne cherche pas à savoir la raison de cette grève. En connaissent-ils eux-mêmes la cause ? Je ne peux donc pas me rendre à l’aéroport de Genève par l’un des trains flambants neuf qui dessert le canton de Genève, ainsi que les territoires frontaliers, dont la vallée de L’Arve, mon camp de base. Je dois me rabattre au dernier moment sur un bus, finalement plus pratique, parce qu’il m’emmène directement à l’aéroport, contrairement au train. Dans la bouche de certains « politique », la SNCF fait partie des fleurons parmi les grandes entreprises publiques françaises. C’était sans doute vrai dans un lointain passé, mais il paraît difficile de nos jours de faire confiance à ce fleuron, tout comme Air France dont les grèves à répétition n’incitent pas à user de leurs services. Mais pas d’inquiétude, l’État veille, l’État protège, l’État finance, refinance et renfloue les enfants gâtés de la république, « quoi qu’il en coûte » aux contribuables. Les Suisses de l’autre côté de la frontière regardent s’écrouler lentement cette France, dont l’inconscience frise le ridicule.

L’inconscience de vivre dans un pays qui détient tous les arguments nécessaires pour devenir, non pas un paradis, ce terme est trop fort, mais plus simplement un endroit sur cette planète où il fait bon vivre, et de ce fait un modèle pour les autres. Et le ridicule étant de mettre à terre la France, le pays des droits de l’homme, au nom des droits de l’homme.

Quant à mes amis suisses, peu ou pas de grève, ils sont au travail, doucement, très tranquillement, mais ils sont au travail.

J’arrive malgré tout sans encombre à l’aéroport de Genève-Cointrin. Beaucoup de monde. Nous sommes en pleine semaine en ce début janvier, une foule relativement dense se presse aux portes d’embarquement, ou au contraire, débarque des avions, sans discontinuer. Le monde bouge, circule, s’affaire, le plus souvent pour ne rien faire, pour changer de la vue ordinaire, la vue de tous les jours, pour voir d’autres choses, d’autres tronches. Ici question tronche on est servi. Et moi, simple particule parmi tant, je viens grossir les rangs.

Solastalgie

J’ai beaucoup apprécié les aéroports par le passé, il y régnait une atmosphère particulière, comme un avant-goût de l’aventure à venir. Je ne ressens plus vraiment ces émotions aujourd’hui. Univers commercial poussé à son extrême, on y trouve presque toujours les mêmes enseignes, et ce, tout autour de la planète, comme des îlots détaxés d’un monde globalisé. Entre autres, on y croise de ces individus semblant tous sortie du même moule, tout du moins du même type de formatage scolaire, et que l’on appelle « hommes d’affaires » ou « business man ». Ce formatage à cadence industrielle à fort bien réussi : leur tenu vestimentaire ne variant guère : le sombre leur va si bien. Hyperconnectés, toujours un écran à porté de main, d’oreille et d’œil, évitant ainsi de croiser trop les regards de leurs contemporains : — quand on peut éviter le mélange ! Sinistre lorsqu’ils sont seuls, mais le verbe haut et imposant leur stature lorsqu’un clan se forme. Tous se répandent à travers la planète pour conclure des affaires. Telle une invasion d’arachnides tissant leur toile qu’ils pensent solide. Mais quelles sont-elles ces affaires : l’un ira quémander quelques centimes sur une boite de médicament quelque part en Asie et destiné au marché européen, détruisant un peu plus nos emploies, nous rendant au passage plus encore dépendants de ces pays lointains en matière sanitaire et augmentant ainsi les transports transcontinentaux toujours plus nombreux. L’autre, ira conclure un accord commercial avec un groupe de producteurs de soja sud-américain, dévastant un peu plus les forêts amazoniennes et sa population d’autochtones, avec la complaisance, que dis-je, l’encouragement des gouvernants locaux. Installant au passage chez les habitants un état de mal-être, que le philosophe de l’environnement, l’australien Glenn Albrecht appelle « solastalgie ». Ce terme est très bien expliqué dans son excellent livre « les Émotions de la Terre », dont le lien vers Amazon est présent en bas de cet article. La « solastalgie » est, en quelque sorte, un état de déprime des habitants, dont l’origine est la dégradation de leur terre par nos « aménagement », qu’ils soient industriels, agricoles, touristiques, ou toute autre dévastation d’origine humaine. Je pense que la densité des êtres humains et ces dérives apportent son lot de misère sur bon nombre d’entre nous. Mal silencieux et inavouable, sous peine d’être traité de « réac » et d’être, sans aucun doute, un frein à l’évolution « naturelle » de l’humanité. Alors qu’ils soient isolés ou en groupe, les hommes d’affaires m’effraient, contrairement aux arachnides, finalement bien inoffensifs. Et me voilà donc me faufilant parmi les sombres costumes, dans cet aéroport, passage obligé pour se mettre en route vers l’ailleurs.

Stupéfiant

Une inquiétude plane cependant devant ma porte d’embarquement : cela fait 48 heures qu’une petite douleur sur l’une de mes dents me cause du tracas. Après une visite chez un dentiste, ce dernier me diagnostiquera un affaissement de l’une de mes dents de sagesse, lequel affaissement me provoquerait ces douleurs. Pas vraiment de risque de grosses douleurs m’a-t-il dit. Il m’a tout de même prescrit un anti-inflammatoire ainsi que de la codéine… merci docteur sauf qu’après vérification, il s’avère que la codéine est considérée comme un stupéfiant en Thaïlande. Dans pareil cas, l’ambassade de Thaïlande en France peut délivrer une permission pour ce médicament. Pour moi c’est mort, impossible d’en faire la demande l’avant-veille de mon départ. Je partirai donc sans ce stupéfiant qui aurai pu soulager mes douleurs. Les geôles thaïlandaises attendront. Il y a longtemps de cela, je constatais un affaissement général de la sagesse humaine. Même les dents n’y échappent pas. C’est dire toute l’ampleur du désastre. 

Voie Lactée

Somptueux coucher de soleil à 12 000 m d’altitude à bord de l’A350 de la compagnie Qatar Airways entre Genève et Doha, la capitale du Qatar. Sous les ailes de l’avion, c’est la mer Adriatique, entre Slaves et Romains. Au-dessus, le noir spatial, où quelques grosses étoiles parsèment peux à peu l’infini de leurs points de lumière. J’aimerais qu’un jour, la technologie aérospatiale permette d’agrandir la vision des passagers. Mon hublot est trop petit pour le grand curieux que je suis. La grandiose nature est partout autour, mais on distingue seulement ce que ces minuscules hublots veulent bien nous laisser entrevoir. Le temps nous paraîtrait sans doute moins long en admirant la spectaculaire Voie lactée, la nuit, ainsi que les beautés de la Planète bleue vue des cieux. Un début de prise de conscience viendrait peut-être s’immiscer dans les esprits des sombres costumes.

Coulée d’Or

Je ne suis pas un fanatique des grandes villes, loin de là, mais le survol, légèrement en décalé de Koweit City, me fascine. L’alchimiste local a réussi son coup. Le pétrole brut, noir, visqueux et puant, transformé en lumière : la ville apparaît comme une coulée d’or dans la nuit.

Rotonde

Environ une heure plus tard, me voici à l’escale de Doha. Tentaculaire aéroport, qui jamais ne s’interrompt. Mon vol pour Bangkok est à 1 h 45, au milieu de la nuit. Avec la sérieuse impression de muter en fourmis au cœur de ce fatras d’humanité : les avions vomissent leurs passagers par millier dans les différents terminaux, lesquels passagers s’engouffrent à nouveau dans d’autres avions. De longs métros circulent à l’intérieur même des halles entre les terminaux. Tout cela semble prodigieusement orchestré, par un chef qui jamais ne se montre. L’aéroport de Doha : rotonde des temps modernes et gigantesque centre de trie humain.

Thaïlande

Crédit photo: ©xaax

En utilisant les liens de mon partenaire Amazon ci-dessous, je toucherai une petite commission, sans aucune augmentation pour vous sur le prix du livre. Cela pour me permettre de développer davantage encore le site Voyageur-Solaire.com. Je vous en remercie, et vous souhaite bonne lecture.

L’intégralité des textes, images, et vidéos de l’ensemble de ce site sont protégés par les droit d’auteur ©voyageur-solaire.com


Vous avez aimé cet article ? Vous avez une question ? Exprimez-vous dans le formulaire de contact ci-dessous. Votre adresse de messagerie ne sera jamais publiée. Merci !

* indique un champ requis

Vous appréciez cet article ? Partagez-le !