Aussi loin que ma mémoire le permette, les premières lectures de mon enfance m’ont profondément marqué, sans m’apercevoir de cela sur le coup.
Il y eut, pour commencer, Jules Verne. Tout Jules Verne. En sa compagnie, je réalisais mes premiers voyages grâce à de simples livres. Parce que les mots percutent l’imagination largement plus intensément que les images. Ce génie m’emportait dans ces récits, me transportait dans des mondes parfois imaginaires pour l’époque, mais ô combien visionnaires. Il ouvrait en grand la voie des possibles, il éveillait, il secouait rudement mon âme.
Puis Roger Frison-Roche, à son tour, vint embellir mes temps de lecture. Des montagnes alpines aux grands déserts sahariens, en passant par les forêts du Grand Nord, cet infatigable conteur-voyageur m’ouvrait à d’autres perspectives. Celles des grands espaces. Ceux-là mêmes d’où nous revenons différent.
Il y eut aussi la période des navigateurs : Bernard Moitessier, Eric Tabarly, Antoine, pour ne citer qu’eux. Tous à leur façon des êtres d’exception.
Je rêvais alors d’une vie de bohème, d’aller-retour permanent. Je marchais dans leur direction, presque dans leur pas. Mais alors, qu’à-t-il bien pu se passer pour bifurquer ainsi vers une vie plus ordinaire, plus rangée, plus en phase avec une société bien sage, bien coiffée, où l’imprévu est prévu ? C’est simple. J’ai tout simplement renoncé à écouter mon cœur, j’ai étouffé mon âme d’enfant, j’ai écrasé mes rêves d’adolescent, pour mieux écouter les sachants, les prudents, les conformistes de la société de l’ordinaire. Presque un suicide. En m’inclinant devant les règles du plus grand nombre, je démolissais ma personnalité, je déviais de ma trajectoire initiale pour aller m’abimer dans la pratique de métiers vide de sens à mes yeux. Rien de bon n’est ressorti de cela.
Puis il y eut le réveil en sursaut, comme sorti d’un cauchemar. J’y reviendrai.
Il est un crime que de renoncer à soi.
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